Fiche 7 : l’installation des établissements militaires favorise l’extension de Bourges à l’est

| Partie 2 A) |



Dans les années 1820, certains officiers supérieurs de l’armée française – tel le Maréchal Soult – considèrent qu’il faut regrouper au centre de la France les établissements de fabrication d’armement dispersées près des frontières de l’est et du nord, afin de les mettre à l’abri des invasions. Sous la Restauration (1815-1830) et la Monarchie de Juillet (1830-1848), l’Etat rejette le projet d’installer des grands établissements militaires à Bourges. En 1834, le Conseil général du Cher et la municipalité berruyère obtiennent néanmoins l’installation du 12ème régiment d’artillerie à Bourges. Lors de son séjour berruyer en 1837, Stendhal signale que certains officiers fréquentent le « café à la mode », tandis que des soldats s’entraînent au maniement des canons sur l’esplanade Séraucourt car ils ne bénéficient pas encore d’un terrain d’entraînement situé en dehors de la ville (voir document 1 et fiche 1). La cité d’Ancien Régime est devenue une ville militaire.


Pour la municipalité, l’arrivée d’un régiment sur le territoire communal n’est que la première étape réalisée d’un projet plus ambitieux. Leur but est obtenir l’installation de grands établissements militaires à Bourges composés d’une fonderie de canons, d’une école d’artillerie, d’une école de pyrotechnie et de grands ateliers de construction de matériels de guerre (documents 44 et 46). Les autorités locales sont persuadées que le futur développement économique et urbain de la ville ne peut être assuré que par l’arrivée de ce type d’établissements publics.


Elles font rapidement connaître au gouvernement leur projet et se montrent capable de faire de grands sacrifices pécuniers et immobiliers en sa faveur. Afin de conserver les établissements d’artillerie, la municipalité aménage en 1850 un polygone de 72 hectares, sur un terrain situé à quatre kilomètres à l’est de la cité. Le 23 novembre de la même année, le gouvernement décide l’installation définitive à Bourges de l’Ecole d’artillerie. C’est sur le terrain du polygone que la Commission d’expériences testera la plupart des pièces d’artillerie en service dans l’armée française avant 1918, notamment le célèbre « canon de 75 » utilisé pendant la Première Guerre mondiale. De 1850 à 1862, l’ancien couvent Sainte Jeanne, l’immeuble de Tivoli, l’enclos Saint-Sulpice et les écuries de Séraucourt sont cédés à l’Etat afin d’y placer respectivement la nouvelle école d’artillerie, un magasin à poudre, un bataillon d’infanterie et la caserne Vieil-Castel.


L’installation définitive d’établissements militaires à Bourges en 1861 est due à la convergence des intérêts de la ville de Bourges, du département du Cher et du Ministère de la Guerre. Pour le département, celle-ci ne peut que stimuler l’activité économique du Cher puisque ces établissements vont avoir besoin de beaucoup de matières premières et de nombreux objets de consommation. Pour le ministère de la Guerre, le choix de la ville de Bourges est lié à des considérations géographiques, économiques et stratégiques. Un rapport essentiel, rédigé en 1860 par l’ancien député du Cher Paul Duplan, indique que la ville, par sa position centrale en France, est la plus capable de recevoir des établissements militaires (document 43). En effet, Bourges est placée entre la capitale et Lyon, non loin de la Loire, bénéficie du chemin de fer (voir fiche 3), de la proximité des gisements de fer et des centres industriels du Centre (Vierzon, Torteron…), tout en étant alimentée en houille par le bassin industriel de Montluçon-Commentry. Elle peut aussi appuyer la commune de Paris en cas d’invasion du territoire national.


En 1860-1861, le conseil municipal de Bourges et le conseil général du Cher votent respectivement deux crédits de 800 000 et de 700 000 francs pour financer la construction des Etablissements militaires. Le 12 juillet 1861, Napoléon III décide leur installation définitive dans la cité berruyère. Lors du séjour du couple impérial dans la ville les 10 et 11 juillet 1862, ce choix essentiel pour l’avenir de Bourges est rappelé à la population locale. Nombre de berruyers pauvres en profitent alors pour demander des aides financières à Napoléon III et à l’impératrice Eugénie (document 45).


Le plan de masse des Etablissements militaires de Bourges est approuvé en janvier 1862. 262 hectares de terrains, appartenant à plusieurs centaines de propriétaires, sont acquis par voie d’expropriation entre 1862-1863. Si l’on compare la carte de Bourges en 1861 (document 42a) et celle de Bourges en 1886 (document 42b), on constate que cette expropriation monstre a permis une très grande extension de la ville à l’est et au sud-est. La superficie de la ville a presque triplée.


On accède à cette nouvelle ville par la rue Napoléon III, en cours de construction, (actuel boulevard de Strasbourg) (voir fiche 5) qui débouche sur la place Malus (voir documents 29 et 30). La Fonderie impériale de canons s’installe en 1866, l’Ecole de Pyrotechnie et du Génie en 1867 (documents 47 et 48). Peu après, Bourges accueille un arsenal, un dépôt de matériel, une salle d’armes et un hôpital militaire. Les casernes Lariboisière, Carnot et Auger sont construites entre 1874 et 1878.


L’installation de cet important complexe militaro-industriel dans les années 1860-1870 provoque la constitution de quartiers ouvriers sur un large éperon situé à l’est de la ville, près de la vieille ville. Elle attire aussi de nouvelles entreprises, telle la brasserie de Pignoux (document 50). Bourges se développe et se transforme à un rythme calqué sur celui de son industrialisation. La population berruyère passe de 28 000 habitants en 1860 à plus de 45 000 en 1891, essentiellement grâce aux Etablissements militaires.


Bourges devient peu à peu une ville ouvrière. Comme le signale le président du Tribunal de commerce de Bourges au président de la République française, le maréchal Mac Mahon, lors de sa visite à Bourges le 31 juillet 1877, la ville possède une « … population ouvrière nombreuse, dont l’arrivée a presque doublé le chiffre de la consommation dans notre ville… » (document 49). Pendant plus d’un siècle, les Etablissements militaires constituent la pièce essentielle de l’économie berruyère. En 1914, la première industrie de Bourges emploie 4500 à 5000 personnes environ. Par comparaison, la deuxième industrie berruyère, Mazières, n’en emploie que quelques centaines à la même période (voir fiche 4).


En 1878, le maire de Bourges Eugène Brisson constate que les grandes dépenses liées à l’installation des Etablissements militaires sont terminées mais que cet investissement aura coûté aux berruyers la bagatelle de 2,6 millions de francs : la ville de Bourges est donc fortement endettée pour les décennies à venir.


L’extension de la ville oblige la municipalité à financer des grandes opérations de voierie et d’équipement des nouveaux quartiers ouvriers installés dans la périphérie, à l’est et au sud-est de Bourges (voir fiche 8).