Fiche 1 : Bourges en 1837 vue par Stendhal

| Partie 1 A) |



« Mémoires d’un touriste » est le journal de voyage de Stendhal, paru en 1838, et un miroir de la France sous la Monarchie de Juillet (document 1). L’écrivain romantique a besoin de ces fréquents changements de décor, de ce dépaysement qui nourrissent sa propre réflexion et son expérience. Ce grand voyageur adopte le masque pratique d’un marchand de fer et d’un touriste, ce qui est alors une nouveauté. Loin d’être impersonnel, son journal de voyage porte la marque du vécu, tout en étant subjectif et largement autobiographique. Chez Stendhal, le journal de voyage et le journal intime se confondent. Ceci dit, cet extrait d’une œuvre littéraire est un témoignage historique de premier ordre car il décrit la cité de Bourges intra-muros avant que celle-ci ne connaisse la plus forte expansion urbaine de son histoire, après l’installation des Etablissements militaires à Bourges dans les années 1860 (voir fiche 7).


Nous avons choisi de présenter le récit laissé par Stendhal sous deux formes afin de le rendre plus accessible au lecteur. Le premier texte, assez court, décrit les principaux monuments historiques du vieux-Bourges que l’écrivain grenoblois admire (partie 1a). Afin de rendre plus concrètes ces descriptions, nous avons choisi de les confronter au plan de Bourges en 1828 (document 2) et aux belles lithographies romantiques réalisées par Hazé, conservateur des monuments du Cher, lors de son séjour à Bourges entre 1827 et 1846. Le second document présente de larges extraits du texte initial et n’est pas exempt de parti pris, concernant le patrimoine architectural de la cité et ses habitants (document 1). En quelques pages très vivantes, Stendhal mêle les remarques sérieuses, pittoresques, ironiques et drôles en nous livrant une reconstitution littéraire de son séjour à Bourges en 1837.


Dans les années 1830, Bourges est une ville d’assez faible étendue où l’on se déplace à pied. La cité a assez peu évolué depuis la fin du Moyen Age et conserve une partie de ses anciens remparts, ainsi que plusieurs faubourgs situés à l’extérieur de l’enceinte médiévale (faubourg d’Auron…) (document 3). Comme nous le rappelle Stendhal, Bourges a de nombreuses rues sinueuses et étroites « formant des labyrinthes », à côté desquelles se dressent de nombreuses maisons à pans-de-bois à deux étages. A cette période, la faiblesse des activités économiques et la précarité financière de la commune ne permettent pas encore la mise en œuvre d’une politique de développement urbain.


Ce « touriste » visite les édifices les plus importants du patrimoine artistique du vieux-Bourges : la cathédrale gothique Saint Etienne et sa crypte (documents 4 et 5), le jardin de l’Archevêché (document 6), la maison des Sœurs bleues actuel hôtel Lallemant (document 7), l’hôtel Jacques Cœur transformé en palais de justice à cette période (document 8), l’hôtel Cujas et le tympan de la porte Saint-Ursin. Il admire un édifice récent, la Halle au blé (document 12), construite un an plus tôt selon le projet de l’architecte berruyer Barthélémy Juillien (voir fiche 2). Stendhal voit donc l’essentiel, à l’exception de l’Hôtel des Echevins et de quelques églises situées en dehors de l’enceinte gallo-romaine. Comme d’autres écrivains romantiques de cette période, il donne au tourisme culturel ses lettres de noblesse.


Contrairement à ce qu’il affirme, Stendhal ne circule pas seul. Son compagnon de voyage n’est autre que l’illustre écrivain Prosper Mérimée, premier Inspecteur des Monuments historiques et bon connaisseur de l’actualité berruyère. Dès sa nomination à ce poste en 1834, Mérimée effectue des visites en province qui le conduisent dans la France entière. Ensemble, ils partent de Paris le 25 mai 1837 et arrivent à Bourges le 29 mai, par la route de La Charité (l’actuelle route nationale 151), après avoir traversé la Champagne berrichonne.


Notre touriste décrit succinctement les marais de Bourges et ses jardins potagers avant de traverser le faubourg Saint-Privé, la rue Saint-Bonnet et la place Gordaine. Puis, il bifurque vers la rue de Bourbonnoux afin de rejoindre le relais de la diligence, l’auberge vétuste du Bœuf couronné et son grand escalier de bois, où il passe la nuit. Peu après, Mérimée présente Stendhal aux notables locaux, puis il guide (ou le fait guider) à travers le centre historique de Bourges les 29 et 30 mai 1837.


L’étude des caractères et des moeurs humains est l’une de ses occupations favorites. Il raille la religion et « la petitesse bourgeoise » berruyère mais ne peut cependant se passer de la société provinciale. Avec lui, nous descendons au « Café à la mode », probablement situé place des Carmes (aujourd’hui place Cujas), un établissement bondé fréquenté par des militaires (voir document photographie actuelle place Cujas). Ceux-ci appartiennent au 12ème régiment d’artillerie, un régiment installé à Bourges depuis 1834. Stendhal est toujours en visite et recherche systématiquement la compagnie de gens cultivés qu’ils considèrent comme intéressants : l’architecte berruyer Barthélémy Juillien, le premier président à la Cour royale de Bourges Daniel Mater, le magistrat et historien du Berry Louis de Raynal…


Ce narrateur si prompt à railler les provinciaux est aussi celui qui fait partager sa jouissance romantique du patrimoine. Il tient à profiter de l’instant et à faire partager au lecteur le plaisir de voir. L’écrivain romantique contemple de nuit, à la lueur des bougies, le monument berruyer qu’il admire le plus : la cathédrale de Bourges. Il communique directement avec son lecteur et recherche sa complicité, le ton confidentiel du narrateur l’appelle à partager ses idées et ses sensations. Il change régulièrement de rythme, égaye son récit d’anecdotes amusantes ou ironiques, excite la curiosité du lecteur et stimule ses réactions. Il lui fait profiter de ses solides connaissances artistiques et historiques qu’il emprunte fréquemment à son ami Mérimée, ainsi qu’à des guides détaillés, tel « le guide pittoresque du voyageur en France ».


Dans le climat romantique des années 1830, Stendhal prend conscience des dangers qui menacent le patrimoine historique et artistique des départements et souhaite que l’on protège les monuments anciens et les artistes. Il désire aussi que les berruyers puissent apprécier l’art. Il constate que le musée départemental d’Antiquité, d’histoire et des arts, situé dans le palais de l’Archevêché, n’est qu’un véritable bric-à-brac. Le petit nombre de lecteurs et d’artistes locaux qu’il recense est le signe de l’indigence de la vie artistique et intellectuelle berruyère à cette période. Le soir du 30 mai 1837, Stendhal prend la voiture publique de 9 heures, en partance pour Issoudun, puis quitte définitivement Bourges.


Deux années plus tard, l’ouverture du canal de Berry permet de désenclaver Bourges en la reliant plus facilement au territoire national (voir fiche 2).